Abus de drogue et droits humains : « l’heure est grave et si rien n’est fait, l’avenir au Burkina Faso sera sombre», Tegawende Landry Ouedraogo, membre de la plateforme nationale de plaidoyer et de lutte contre l’abus de drogue

La consommation de drogues sous toutes ses formes prend de plus en plus d’ampleur au Burkina Faso surtout chez les jeunes. Une situation que Tegawende Landry Ouedraogo, CEO de Lumière Afrique Vision Plus et membre de la plateforme nationale de plaidoyer et de lutte contre l’abus de drogue, formateur des formateurs certifiés des Nations-Unies en prévention de l’abus des drogues et en réduction des risques qui y sont liés, qualifie de «grave» avec de nombreuses conséquences si rien n’est fait. Dans cette interview, l’expert en intervention en milieu scolaire pour la prévention de l’abus des drogues, interpelle l’ensemble des acteurs de la lutte à prendre le taureau par les cornes, car si rien n’est fait, l’avenir au Burkina Faso sera sombre.

Santé pour tous : Quel est l’état des lieux de l’abus de drogue aujourd’hui au Burkina Faso ?

Plus de 90% de ces écoles ont un problème de consommation de drogue

Tegawende Landry Ouedraogo : Je dirais sans risque de me tromper que l’heure est très grave et même très grave. J’ai 20 ans d’expérience terrain. Depuis une décennie, on sonne sur la sonnette d’alarme mais apparemment, ça tombe dans les oreilles de sourds. Personne ne s’intéresse à la question. Ou du moins, chacun dit que c’est chez l’autre, mais ça va venir tôt ou tard. J’ai fait plus de 300 écoles au Burkina ici et plus de 90% de ces écoles ont un problème de consommation de drogue.

Alors que l’élite de demain, ce sont les élèves d’aujourd’hui. Du primaire jusqu’au supérieur en passant par le post-primaire et le secondaire, la drogue est là. La drogue circule, la drogue est disponible et consommée par nos enfants. Le Burkina fait partie d’un monde où actuellement, le rapport annuel 2024 de l’Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime qui est l’instance onusienne chargée des questions de drogue, le dit clairement. La consommation de façon générale de la drogue s’est accrue de façon vertigineuse. Et avec un focus sur les consommateurs de drogue injectable. En 2022, ce sont 13,9 millions de personnes qui consomment la drogue de façon injectable. C’est extrêmement grave avec les risques de contraction de VIH/Sida qui est très accru également. Il y a 64 millions de personnes qui consomment la drogue de façon problématique en 2022. Presque trois fois la population du Burkina Faso. L’heure est extrêmement grave. De 2019 à 2023, ce sont 20 tonnes de cocaïne qui ont été saisies en Afrique de l’Ouest. Ces drogues étaient venues pour la consommation par qui ? Par nos enfants, par nos populations. Donc l’heure est très grave. Donc il y a le lieu d’interpeller tout le monde pour que chacun s’implique.

Quels sont les types de stupéfiants et de drogues qui sont couramment consommés par ces jeunes ?

Si rien n’est fait, l’avenir au Burkina Faso sera sombre.

Généralement, il y a l’alcool qui plus ou moins aujourd’hui, est toléré notamment les alcools frelatés. Les Fax, les voddy qui peuvent aller jusqu’à 20, 30% de taux d’alcool consommés au vu et au su de tous. Nous avons la chicha qui est consommée également au vu et au su de tous. Heureusement, aujourd’hui, il y a un arrêté municipal qui interdit cela. Mais pire, il y a des parents qui paient la chicha et qui vont donner à leurs enfants à la maison pour qu’ils consomment par ignorance. Nous avons le cannabis qui est la drogue la plus consommée dans le monde entier. Et le Burkina n’en fait pas exception. C’est accessible et ça pousse partout. Nous avons même la cocaïne qui est consommée par nos enfants. Et nous avons l’héroïne qui est un dépresseur du système nerveux central, qui est une drogue à un potentiel hautement addictif. Et qui est consommée par nos enfants. Sans parler des opioïdes, des combinaisons que nos enfants font avec des produits codéinés associés à un certain nombre de produits pour fabriquer leurs propres drogues de synthèse. Donc aujourd’hui, il ne faut pas qu’on se leurre. Il ne faut pas qu’on ferme nos yeux. L’heure est grave. Et si rien n’est fait, l’avenir au Burkina Faso sera sombre.

On parle de droits humains dans toutes les sphères et pourtant…?

Les consommateurs de drogues sont des êtres humains. Ils ont tous les droits qu’ont les êtres humains « normalement ». Mais malheureusement, ce que nous constatons sur le terrain, c’est qu’ils sont marginalisés. Ils n’ont pas droit aux droits les plus fondamentaux. Notamment le droit à la vie, le droit à l’accès à la santé. Et là, c’est extrêmement grave parce qu’ils vivent au sein de la même population que nous. Et si le taux de prévalence en VIH/Sida dans leur milieu est élevé, ils risquent de tirer le taux de la population générale. Je suis désolé, mais c’est la vérité. Donc, il faut qu’on ouvre les yeux et regarder les droits de ces consommateurs de drogue qui sont considérés comme des populations clés, des personnes vulnérables. Et les maladies qu’on adresse, que ce soit le VIH/Sida, la tuberculose, le paludisme et les autres comorbidités, c’est une réalité au sein de cette population. Il faut qu’on adresse cela. Il faut qu’on leur ouvre grandement les portes des services de santé pour leur permettre de se soigner.

Quels sont les pistes de solutions que vous pouvez proposer ?

Il faut changer de paradigme

Les solutions sont claires et simples. La première des choses, c’est de former les acteurs de santé sur la problématique de la drogue. Beaucoup ne savent pas, beaucoup ne sont pas suffisamment outillés. Ce qui fait que lorsqu’ils arrivent, on dit les drogués à part, les bonnes personnes à part. C’est stigmatisant. Il faut donc les former pour qu’ils sachent que c’est un problème à adresser et que s’ils ne l’adressent pas, il y aura un impact sur la population générale. Il y a également qu’il nous faut des centres de prise en charge spécialisés. Jusqu’au jour d’aujourd’hui, il n’existe pas un centre intégré de prise en charge des consommateurs de drogue au Burkina pour le moment. Et ça, c’est un plaidoyer fort que je fais depuis longtemps. Il nous faut cela pour pouvoir soigner nos consommateurs de drogues. Le terme drogué, nous, on ne l’utilise pas parce que c’est stigmatisant. Ce sont des consommateurs de drogues. Ce n’est pas eux le problème. Le problème, c’est la drogue. Donc il faut qu’on change de paradigme, notre façon de voir les choses. En fait, c’est un problème de santé publique. Le ministère de la Santé est interpellé parce que c’est un problème de santé publique. Il faut qu’on l’adresse. Il faut qu’on le regarde droit dans les yeux et le traiter comme il se doit. Sinon, plus tard, ça sera trop tard.

Est ce à que le centre de prise en charge du CHU Yalghado n’est pas spécialisé ?

Ce centre fait ce qu’il peut mais ce n’est pas un centre spécialisé intégré. C’est ce qu’on appelle « all in one » en prise en charge. Non, ce n’est pas un centre spécialisé intégré. Il n’y en a pas d’abord au Burkina. Je parle en tant que consultant international en prévention de l’abus des drogues. Il y a un certain nombre de normes qu’il faut. Et le centre à l’hôpital Yalghado fait ce qu’il peut. C’est déjà bon. Mais ce n’est pas arrivé.

Propos recueillis par Abel Azonhandé

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