Marceline Soalla/Tou : « les personnes en situation de handicap, ou les personnes vulnérables en général ont des besoins spécifiques pour faire face à plusieurs défis »

Dans un contexte de plus en plus marqué par l’insécurité et les défis sociaux, l’Association pour le Bien-être de l’Enfant et de la Femme au Burkina Faso (ABEFAB) s’engage sans relâche en faveur des femmes vulnérables, notamment celles victimes de Violences basées sur le genre, les travailleuses du sexe et les personnes déplacées internes. À travers son action, l’ABEFAB œuvre pour l’autonomisation des femmes, la défense de leurs droits et l’amélioration de leurs conditions de vie. Dans cette interview, Marceline Soalla/Tou, présidente de l’ABEFAB, nous dévoile les missions de l’ABEFAB, appelle à une mobilisation collective pour un Burkina Faso plus inclusif et solidaire.

Santé pour tous : Pouvez-vous nous présenter l’ABEFAB et ses principales missions ?

Marceline Soalla/Tou : L’ABEFAB est une organisation féminine au Burkina Faso dédiée à la défense des droits des femmes. Elle œuvre pour l’autonomisation des femmes, la lutte contre les violences basées sur le genre (VBG), ainsi que pour la paix et la cohésion sociale. Ses actions incluent principalement le plaidoyer, l’accompagnement des femmes vulnérables, ainsi que des initiatives de résilience économique et sociale.

Quelles sont les catégories de populations vulnérables que vous accompagnez et pourquoi ce choix ?

MST : Les populations vulnérables que nous accompagnons sont, d’ores et déjà, les femmes et les filles victimes de violences basées sur le genre. Nous travaillons également avec les filles travailleuses du sexe, ainsi que les personnes déplacées internes. Nous soutenons aussi les femmes engagées dans la paix et la cohésion sociale, sans oublier les femmes agricultrices.

Comment l’ABEFAB soutient-elle ces personnes pour l’amélioration de leurs conditions de vie ?

MST : Il y a l’accompagnement psychosocial et juridique. En ce qui concerne les violences basées sur le genre, nous aidons les victimes à travers des services d’écoute, de médiation et d’orientation vers la justice. Nous avons un partenariat avec l’Association des Femmes Juristes du Burkina Faso, et nous référons ces cas vers ces structures compétentes pour une prise en charge adéquate. Nous accompagnons également ces personnes vulnérables à travers des formations en activités génératrices de revenus, ainsi que des soutiens financiers aux femmes déplacées internes pour renforcer leur résilience. En ce qui concerne l’accès à la santé, nous sommes également présents sur le terrain. Nous sensibilisons, distribuons des kits d’hygiène aux femmes et filles déplacées.  Nous sensibilisons   les filles travailleuses du sexe sur les IST, le VIH, et le SIDA. Nous leur donnons des conseils, nous les accompagnons aussi en matière de sensibilisation sur la santé sexuelle et reproductive.  Nous faisons également des plaidoyers pour la mobilisation communautaire pour promouvoir l’égalité du sexe.

Quel regard portez-vous sur la situation des travailleuses du sexe au Burkina Faso ?

MST : Les travailleuses du sexe au Burkina font face à une forte stigmatisation, à des violences accrues et à une précarité économique. Il faut également mentionner leurs accès aux soins et à la protection, tous ces paramètres restent limités. L’ABEFAB plaide donc pour la reconnaissance de leurs droits. leur accès à la santé, pour réduire un tant soit peu leurs vulnérabilités et promouvoir leur dignité et sécurité.

Existe-t-il des points communs entre les luttes des personnes en situation de handicap et celle des travailleuses au sexe ?

MST : Les travailleuses du sexe comme les personnes handicapées, font face à la stigmatisation. Elles subissent également l’exclusion sociale et, surtout, des violences. L’ABEFAB milite pour des politiques protectrices et pour la création d’opportunités économiques afin de soutenir ces groupes.

Certaines travailleuses du sexe sont rejetées par leurs familles, qui considèrent leur travail comme indigne

Quelles sont les violences et discriminations les plus courantes qu’elles subissent ?

MST : Les travailleuses du sexe subissent de nombreuses violences, notamment des agressions, des viols et des abus même par les clients même au-delà des forces de l’ordre et également les membres de la société. Elles rencontrent également des difficultés d’accès à l’emploi, aux services de santé et surtout, elles subissent souvent le rejet familial. Certaines travailleuses du sexe sont rejetées par leurs familles, qui considèrent leur travail comme indigne, ce qui les marginalise davantage.

Il y a aussi l’humiliation publique et le harcèlement qu’elles vivent le jour le jour.  En matière de témoignages, moi-même, j’ai été témoin de la scène. Voilà, une travailleuse du sexe qui a subi un accident et on l’a transportée à l’hôpital. Il faut reconnaître aussi que sa tenue n’était pas adéquate. Donc quand elle est arrivée, on a demandé l’adresse, elle dit qu’elle a été agressée, elle a voulu prendre la fuite et puis elle a eu l’accident. Lorsqu’elle est arrivée à l’hôpital et a expliqué qu’elle avait été agressée et avait voulu fuir avant l’accident, les infirmiers, en la voyant, ont commencé à la juger, la qualifiant de « fille de bar » ou de « travailleuse du sexe ». Elle était là, souffrante, demandant de l’aide, mais personne ne la regardait. Au contraire, certains se moquaient d’elle. J’ai alors approché un infirmier pour comprendre la situation, et celui-ci m’a répondu en faisant des remarques sur sa tenue. J’ai plaidé pour qu’on prenne soin d’elle, et finalement, elle a reçu les soins nécessaires. Cependant, cette expérience a été extrêmement traumatisante pour elle et démontre la réalité difficile qu’elles affrontent.

Comment l’ABEFAB accompagne ces femmes, notamment en matière de santé et de droits d’insertion professionnels ?

MST : L’ABEFAB accompagne toutes les femmes vulnérables, que ce soit les femmes handicapées, les travailleuses du sexe et des filles mères. L’ABEFAB travaille avec toutes ces couches en leur offrant un soutien intégré dans plusieurs domaines. Par exemple, les filles mères que vous rencontrerez dans nos locaux sont souvent en train de suivre des formations en couture. En matière de santé, nous facilitons l’accès à des soins de santé adaptés, notamment, de la santé sexuelle et reproductive. L’ABEFAB organise des campagnes de sensibilisation sur les IST, VIH, SIDA. Nous fournissons des kits d’hygiène et orientons les femmes vers des structures médicales partenaires pour un suivi sanitaire adéquat.

Nous offrons aussi un accompagnement juridique pour celles qui en ont besoin. Nous travaillons en partenariat avec l’Association des femmes juristes, parce que seules, on ne peut pas tout faire. Il faut travailler en synergie d’action avec d’autres structures pour l’amélioration des conditions de vie de ces personnes vulnérables. Nous sensibilisons ces femmes sur leurs droits, en leur demandant de porter plainte en cas de violence pour une meilleure protection légale. Enfin, en matière d’insertion socio-professionnelle, l’ABEFAB a mis en place plusieurs centres, tels que ceux de couture, de tissage et de teinture, ainsi que la production d’attiéké. Ces activités visent à diversifier les opportunités professionnelles et à améliorer les revenus des femmes vulnérables.

Quel est votre plus grande réussite, ou l’histoire qui vous a le plus marquée dans votre travail avec cette population là ?

MST : L’ABEFAB a mené plusieurs activités dont elle est fière aujourd’hui. L’une des plus grandes réussites a été l’histoire d’une jeune fille, travailleuse du sexe, qui, après avoir été victime de violences, a trouvé refuge à l’ABEFAB. Nous avons pu lui offrir un accompagnement psychosocial, une formation en couture, ainsi qu’un soutien pour lancer son propre petit commerce. Aujourd’hui, cette jeune fille, dont je vais taire le nom, est devenue indépendante et a quitté la prostitution. Aujourd’hui, elle accompagne même d’autres jeunes filles dans des situations similaires. C’est un exemple de résilience et de transformation pour nous. Pour moi, c’est une très grande et belle réussite pour l’ABEFAB.

Les personnes en situation de handicap, ou les personnes vulnérables en général, font face à plusieurs défis

Et quels sont les principaux défis rencontrés par ces personnes au Burkina ?

MST : Les personnes en situation de handicap, ou les personnes vulnérables en général, font face à plusieurs défis, notamment en matière de santé et de droits. Elles sont souvent exclues des processus décisionnels et manquent de soutien juridique adapté. Leur accès aux soins est limité par l’absence d’infrastructures médicales adaptées et par les coûts élevés des soins, qui sont souvent inaccessibles pour ces personnes. En termes d’insertion socio-économique, elles rencontrent des difficultés pour accéder à l’éducation et à l’emploi, en raison de leur stigmatisation et du manque d’opportunités adaptées. Ces obstacles renforcent leur marginalisation et entravent leur autonomie dans tous les domaines.

Quelle peut être l’implication des citoyens et la société civile pour l’inclusion et la protection de ces personnes vulnérables ?

Les citoyens, et surtout les associations jouent un rôle crucial pour favoriser l’inclusion et la protection des personnes vulnérables au Burkina Faso. Il existe de nombreuses associations dans le pays, chacune œuvrant dans son domaine spécifique. Je dirais donc que nous jouons un rôle crucial pour favoriser leur inclusion et leur protection. Les associations, aussi bien que l’ABEFAB sont présentes sur le terrain et sensibilisent la population sur les droits des groupes vulnérables, notamment les personnes handicapées, les travailleuses du sexe et les personnes déplacées internes (PDI), afin de lutter contre la stigmatisation et promouvoir l’égalité de leurs droits. Et également, la société civile ne manque pas de plaider pour les politiques inclusives.  Il est également essentiel de renforcer les capacités, ce qui signifie former les leaders communautaires, les enseignants, les acteurs sanitaires, ainsi que les forces de l’ordre, afin qu’ils comprennent mieux les besoins spécifiques de ces groupes vulnérables.

Quelles réformes ou actions prioritaires recommandez-vous aux autorités pour une meilleure inclusion des personnes handicapées ?

MST : Je recommande, par exemple, la mise en place d’infrastructures accessibles dans tous les secteurs, qu’il s’agisse de l’éducation, de la santé, des transports ou des bâtiments publics. Il est essentiel que ces espaces soient adaptés aux besoins des personnes handicapées, avec des rampes, des toilettes accessibles et des équipements spécialisés. Il est également nécessaire de mettre en place une législation plus stricte garantissant l’accès à l’éducation et à l’emploi pour les personnes handicapées. On peut également créer des programmes de formation, de réinsertion professionnelle adaptée pour faciliter l’accès à l’emploi pour les personnes handicapées. Enfin, on peut ajouter la sensibilisation et l’éducation. 

Quels sont vos projets futurs et comment peut-on soutenir cette action dans votre lutte que vous menez ?

MST : Nos prochains projets incluent des initiatives pour l’autonomisation des femmes vulnérables, notamment les travailleuses du sexe, les personnes handicapées et les personnes déplacées internes (PDI). Nous prévoyons de renforcer l’accès à la santé, notamment avec la mise en place d’un centre de santé. Nous avons  la formation professionnelle et les opportunités économiques pour ces groupes. Un autre projet majeur que nous avons est la mise en place d’un centre d’accueil pour offrir un abri temporaire aux filles vulnérables et aux personnes déplacées internes. Pour atteindre ces objectifs, nous avons besoin de soutien financier et matériel. Vos contributions permettront de financer nos programmes de formation, de santé et de soutien psychosocial pour ces personnes vulnérables.

Quel commentaire fait vous de la commémoration du 8 mars 2025 ?

MST : En ce qui concerne le 8 mars 2025, le thème est particulièrement crucial, car il porte sur « Crise sécuritaire et humanitaire : Quelle stratégie pour promouvoir l’entrepreneuriat agricole des femmes ? ». Ce thème est d’autant plus pertinent dans le contexte actuel, où nous sommes, où les femmes, particulièrement celles des zones rurales, sont confrontées à de multiples défis liés à l’insécurité et aux conditions humanitaires difficiles. Comme stratégie pour promouvoir l’entrepreneuriat c’est de traiter le problème des terres agricoles.

Si nous pouvions mettre en place des mécanismes de financement adaptés aux femmes, incluant des crédits à faible taux d’intérêt et des subventions pour les aider à démarrer ou à développer leurs activités agricoles, cela serait un bon point de départ. Cela peut inclure aussi, la création de plateformes de financement participatif d’associations de femmes pour renforcer leur pouvoir économique.

Le 8 mars, c’est aussi une journée de réflexion. C’est une journée de réflexion, c’est à nous de réfléchir ensemble pour trouver des solutions adaptées à nos différents problèmes. Cette année, nous célébrerons la journée à Dédougou, dans la Boucle du Mouhoun. Il y aura une rencontre B to B avec les institutions financières pour voir dans quelle mesure ces institutions peuvent accompagner les entrepreneurs agricoles. Il y aura une cérémonie de reconnaissance où on va donner des décorations à certaines organisations et également à certaines personnes physiques pour leur combat, pour l’épanouissement de la femme burkinabè.

Quels sont les activités prévues par l’ABEFAB pour commémorer cette Journée ?

MST : L’ABEFAB commémore le 8 mars avec d’abord une formation en agriculture hors sol qui sera en différé le 13 mars 2025. Lorsqu’on parle de trouver des innovations pour l’agriculture aujourd’hui, l’agriculture hors sol en fait partie. Chaque femme, chaque couple devrait mener ces types d’activités au sein du domicile familial, car cela ne nécessite pas beaucoup d’espace, et permet de consommer des aliments bio et sains. Le 20 mars, nous organiserons une activité de dépistage gratuit du cancer du col de l’utérus, ouverte à toutes les femmes de la région du Centre. Nous appelons donc les femmes à venir faire leur test. Un cancer dépisté tôt peut être traité et soigné, tandis que s’il est détecté tardivement, il peut entraîner de graves problèmes.

Je saisi cette occasion pour vous remercier, vous les médias, parce que vous êtes les mieux écoutés, vous êtes les plus écoutés même au Burkina Faso donc je tiens vraiment à vous remercier, à remercier également le gouvernement pour tout ce qu’il est en train de faire pour l’épanouissement de la femme burkinabè. En ce qui concerne l’année 2025, avec le thème que nous avons choisi, il s’agit d’un sujet que nous avons déjà débattu. Cela signifie qu’il reste encore des défis à relever, bien que nous ayons constaté des impacts positifs à ce jour. L’objectif est que les femmes du Burkina Faso puissent porter des réflexions qui vont porter fruit à toutes les femmes ainsi qu’à toute la communauté burkinabè.

Cathérine Kouraogo

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